LES GRANDES HEURES DES NANTIS DE L'OCCUPATION, des COLLABOS
Il est 5h 30 du matin ce 14 juin 1940 lorsque les premiers soldats allemands entrent dans Paris par la Porte de la Villette.
Le même jour, la célèbre maison close Le Chabanais affiche qu'elle sera ouverte à nouveau dès 15 heures.
Le commerce des plaisirs n'a stoppé que quelques heures seulement.
De même, lorsque le 5 avril 1943, un bombardement fait des victimes à l'hippodrome de Longchamps, on modifie juste le parcours pour que courses et paris reprennent au plus vite!
Certains privilégiés possèdent un laisser-passer de nuit, ce sont les journalistes, les acteurs, et les chanteurs. parmi eux ? les COLLABOS !
Le Paris frivole restera ainsi fidèle à sa réputation malgré les années noires de la guerre, entre le calme de 1940 et le climat d'exaspération de 1944.
Les Parisiens chercheront à oublier le quotidien en de multiples évasions, et les occupants vainqueurs à s'amuser dans cette ville renommée pour ses lieux de plaisir.
Quelle est-elle cette vie parisienne brillante et superficielle, celle d'une minorité composée d'hommes politiques, de financiers, de personnalités du Paris artistique, celle aussi que forment ceux qui servirent l'occupant ou en profitèrent, du journaliste au traficant du marché noir?
Tout ce beau monde fréquente les premières, les réceptions de l'ambassade allemande, les grands restaurants, les cabarets à la mode et les lupanars chics.
Sans se poser de questions, des artistes en tout genre ne rechigneront pas à la tâche pour satisfaire ce public avide de réjouissances:
il faut assurer le repos des guerriers allemands et de leurs collaborateurs.
Si la masse des Parisiens, celle qui souffre des restrictions, se distraira dans les cinémas, les théâtres et la lecture, la jeunesse, cette génération étouffée par les années de guerre, voudra, elle aussi, fuir la réalité dans les agapes mais surtout par la provocation.
Ce sera le phénomène "zazou".
Un certain Boris Vian, encore inconnu, y fera ses premières armes d'agitateur excentrique.
En ce début d'été 1940, il ne reste que 700 000 Parisiens. Les affaires reprennent vite dans les cabarets avec l'enthousiaste clientèle des soldats envahisseurs. Les nazis veulent un retour rapide à la normale dans la "ville-lumière", tombée il y a 1 mois sans un coup de feu.
On organise pour les Allemands en permission des visites guidées du Louvre, de Versailles. Des places leur sont réservées au théâtre et au concert.
Pourtant, la troupe préfère les danseuses, et dès la fin juillet 1940, Le Lido, Les Folies Bergères, Le Casino de Paris, Le Moulin de la Galette sont pris d'assaut.
La fin des combats, pour les cabarets et music-hall, c'est l'assurance d'une clientèle nombreuse et aussi, en période de restrictions, celle d'être ravitaillé sans compter en foie gras, champagne et charbon.
Peu à peu les Parisiens reviennent dans la Capitale et à l'automne 1940, la population retrouvera le niveau démographique d'avant-guerre.
Dès lors, les personnalités et privilégiés du "Tout Paris" seront amenés à voisiner avec les officiers allemands dans les fêtes parisiennes.
Toujours bien organisés, les Occupants découpent Paris en hauts lieux de la vie nocturne: une carte géographique est même publiée dans la presse allemande pour les permissionnaires de passage.
A Montmartre, fleurissent les cabarets avec dîners-spectacles, où se côtoient gangsters et gestapistes français dans une atmosphère louche.
C'est aussi le quartier préféré de la pègre corse.
Les règlements de compte sont fréquents et ce sont les soldats allemands en goguette qui font le service d'ordre.
Le Tabarin a grande réputation sur la Butte, les Allemands y font sauter les bouchons de champagne telles des salves de canon à chaque défilé de filles dénudées.
Aux Champs-Elysées, les patrons de cabaret cherchent à revenir au chic d'avant-guerre avec un grand raffinement dans les décors et un service luxueux.
Ils attirent ainsi la clientèle aisée et peu importe si se
côtoient le chef tortionnaire de la rue Lauriston, et Maurice Chevalier.
Le fameux Boeuf sur le Toit des années folles a toujours beaucoup de succès.
On peut y entendre des rythmes swing et Charles Trenet.
Sur la célèbre avenue, le Lido présente une revue de filles plus distinguées.
C'est le rendez-vous des personnalités de la collaboration, notamment Jacques Doriot.
Craignant un attentat, il a fait installer un miroir sur sa table pour surveiller derrière son dos.
Sur les grands boulevards, à La Vie Parisienne, Suzy Solidor chante chaque soir Lily Marlène qui réussit l'exploit d'être tout à la fois l'hymne de marche de l"Afrika Korps"
de Rommel et des Britanniques dans le désert.
Avant la fin de l'année 1940, tous les music-hall d'avant-guerre ont repris leurs activités.
Les mêmes chanteurs et chansonniers tournent sans cesse, car les étrangers anglo-américains et les juifs sont interdits de spectacle.
C'est la ronde des Mistinguett, Edith Piaf, Fernandel, Fréhel, Damia, Suzy Delair, Andrex, Georgius, etc...
Il faudra attendre 1944 pour voir de nouvelles révélations:
Francis Blanche, Charles Aznavour, Yves Montand, les Compagnons de la Musique (bientôt "de la Chanson").
Le dernier métro passe à 23 heures, le couvre-feu est à minuit, aussi l'heure des spectacles est-elle avancée.
Certains privilégiés possèdent un laisser-passer de nuit, ce sont les journalistes, les acteurs, et les chanteurs. parmi eux ? les COLLABOS !
Les autres doivent choisir de rentrer tôt ou de passer la nuit dans le cabaret.
A partir de 1942, les alertes pour bombardements vont perturber la vie nocturne. Les spectacles sont aussi interrompus par des coupures d'électricité.
En 1944, de nombreux cabarets devront se contenter de l'apéritif prolongé (de 17h à 23h).
Avec l'argent du trafic et du Marché Noir, quand d'autres travaillent dur, mangent mal, et souffrent du froid, l'opposition s'accentue.
Aussi attrayants que les rondeurs féminines, les plaisirs de la table prennent une importance ahurissante en ces temps de restrictions.
L'officier allemand et écrivain Ernst Jünger commente son repas en haut du
restaurant La Tour d'Argent:
<< On a l'impression que les personnes attablées là-haut, consommant les soles et les fameux canards, voient à leurs pieds, avec une satisfaction diabolique, comme des gargouilles, l'océan gris des toits sous lesquels vivotent les affamés.
En de telles époques, manger, manger bien et beaucoup, donne un sentiment de puissance...>>
Toujours numéro un, le restaurant Maxim's est un carrefour baroque où, vedettes
(Jean Cocteau, Raimu, Sacha Guitry), marquis, comtesses, hommes d'affaires
(Louis Renault), voisinent sans cas de conscience avec les pires collaborateurs français et les hauts dignitaires nazis, tel Goering, lors de quelques visites à Paris.
Les maisons closes ne connaissent pas le chômage.
Elles ont juste changé de clientèle.
Une partie d'entre elles est réservée aux soldats allemands, tandis que les officiers fréquentent, avec les Parisiens privilégiés, des lieux de plaisirs plus chics:
Le Sphinx, Le Chabanais (décoré par Toulouse Lautrec) et le célèbre One Two Two de la rue de Provence.
Les patrons de ces "maisons" ne se plaignent que des difficultés à recruter des filles.
Les Parisiens comprennent vite les nombreux avantages à fréquenter ces maisons closes bien ravitaillées en charbon et victuailles.
On ne s'y donne pas rendez-vous que pour la bagatelle.
On y discute au chaud en dégustant des mets et alcools introuvables dans Paris.
L'acteur Michel Simon, grand amateur de réchauffements en tous genres, apprécie tellement ces bienfaits qu'il emménage dans un de ces lupanars.
Edith Piaf fait de même: elle y reçoit dans sa chambre, en plus de ses amants, des compositeurs et écrivains, tandis que d'autres ébats se déroulent à l'étage du dessous.
Michel Vigourt Seconde Guerre mondiale n° 8 / 05-06 03